Choisir de ne pas être mère : Therese Shechter dans My So-Called Selfish Life

« Égoïste » est l’insulte communément proférée à l’encontre des défenseurs de l’avortement par ceux qui s’y opposent. « Égoïste » est aussi ce que Therese Shechter, réalisatrice, a entendu toute sa vie au sujet de son refus d’avoir des enfants. Son documentaire « My So-Called Selfish Life » sortira le 6 mai alors qu’avant-hier, Politico révélait la possible annulation de l’arrêt Roe v. Wade aux États-Unis.

Le documentaire aborde la culture normalisée du pro-natalisme. Scrupuleusement, la société invite (enjoint, pousse) les femmes à enfanter. Les enfants sont devenus un marqueur d’accomplissement. Shechter tend le micro à celles qui choisissent de résister à la construction sociale proférant que la plus grande valeur d’une femme réside dans sa capacité à procréer. Qu’arrive-t-il à celles qui essaient de choisir – et parfois refuser – la maternité par elles-mêmes, pour elles-mêmes, abstraction faite de ce que la société attend d’elles ?

La réalisatrice de l’impertinent How To Lose Your Virginity? (2013) qui déjà abordait un sujet-fantôme, la virginité, dont on ne prononce le nom qu’à voix basse, ne délivre pas un chef-d’oeuvre de cinématographie, dont on admirerait les plans ou la bande originale. Elle s’illustre cependant dans ce qu’elle fait de mieux : traiter avec intelligence, humour, sincérité – d’aucuns diraient crûment – un sujet « tabou ». Le mot est un euphémisme. Intouchable, innommable, ancré, au plus profond des moeurs, là où on ne le voit ni l’entend, serait plus justes. « Nous n’aimons pas nous avouer que nous voyons les femmes avant tout comme des reproductrices, » écrit l’autrice féministe Mona Chollet dans Sorcières.

Le droit de refuser la maternité n’est pas acquis. Le droit à avorter est acquis parfois, menacé depuis hier aux États-Unis. Mais le droit moral, social, culturel, de ne pas être mère, continue d’être refusé aux femmes. Shechter réunit les voix de celles, assurées et décomplexées, qui choisissent de résister à la pression de devenir mère.

Ruth Bader Ginsburg défendant l’avortement à la Cour Suprême américaine en 1993 : « C’est quelque chose de central dans la vie d’une femme, pour sa dignité. C’est une décision qu’elle doit prendre pour elle-même. Et quand le gouvernement contrôle cette décision pour elle, elle n’est pas traitée comme un adulte humain responsable de ses propres choix. »

Le film suit par exemple Lauren, qui multiplie les démarches de stérilisation, et se voit partout opposer la même réponse : « Dans cinq ans, vous risquez de le regretter. » Elle constate, révoltée : « Je peux aller en Chine demain et m’y installer. Je peux m’engager dans l’armée. Je peux signer un contrat pour un prêt énorme. Je peux prendre tant de décisions que je pourrais regretter en tant qu’adulte. Pourquoi suis-je regardée de manière paternaliste dans ce domaine, alors que dans d’autres domaines de ma vie, je suis respectée comme une adulte ? » Elle mentionne le cas d’une femme qui s’est vue refusée une stérilisation au motif qu’elle était trop jeune : « Dans quel monde 35 ans est-il trop jeune pour qu’un adulte prenne une décision pour lui-même ? » s’insurge Lauren.

Cette infantilisation qui la révolte relève de ce regard paternalisant portée par la société sur les femmes. Aussi connu sous le nom d’instinct maternel, cette croyance généralisée qu’une femme réalise son identité profonde lorsqu’elle devient mère est cause de mal-être pour ces femmes qui n’ont pas d’enfants. Par choix ou non, certaines pour cette fois seulement, d’autres pour toujours, elles sont toutes en proie à cette injonction à être mère que les honneurs, les médailles, les réussites, ne réussiront pas à désarmer.

Entre référence mainstream, retours d’expériences et interviews d’écrivaines contribuant à libérer la parole sur le sujet, Shechter aborde aussi sa propre histoire et le choix qu’a fait sa mère de ne pas avorter. Cette mise à nu participe à donner au documentaire l’allure d’une discussion entre amies, toutes cultures, orientations sexuelles confondues, au cours de laquelle on libèrerait toutes ces pensées que la société ne nous autorise pas à formuler.

Ce film est une nécessité, car il déjoue la pression sociale que subissent les femmes à féconder en libérant la parole, pression encore appuyée par la réouverture des discussions autour de l’avortement aux États-Unis. C’est une ode au choix, à la conscience libre en matière de reproduction. On fait le lien entre eugénisme et pronatalisme, on déconstruit le mythe de l’horloge biologique, on s’ouvre aux alternatives à la famille nucléaire traditionnelle. Et surtout, on l’affirme haut et fort : celles qui n’ont pas eu d’enfants vont bien. Le film de Shechter arrive à point nommé.

« Au lieu de reconnaître la violence institutionnelle de la maternité patriarcale, la société stigmatise ces femmes, qui finissent par exploser en violence psychopathologique. » Adrienne Rich

« Le natalisme est affaire de pouvoir, et non d’amour de l’humanité. » Mona Chollet

MY SO-CALLED SELFISH LIFE https://myselfishlife.com/ will be streamed worldwide from 6-16th May via https://watch.showandtell.film/watch/my-so-called-selfish-life

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer